vendredi 28 mars 2008

AU CONGO














On vous l’a dit : Le Socialisme-Scientifique, ça sert à tout expliquer, à tout résoudre, les problèmes de la pensée philosophique, ceux de la création artistique, ceux de la connaissance scientifique, aussi bien que ceux des passions et de l’Amour !


La grivoiserie est détestable, et d’ailleurs le Marxisme-Léninisme est fort peu grivois Pourtant, si je veux raconter certain épisode assez surprenant ... Tâchons, du moins, de rester dans les limites du bon goût.


C’est une histoire qui se passe en mille neuf cent soixante et onze, au Congo, à Brazzaville, à la splendide époque du Socialisme-Scientifique ! On rencontre en ville des Chinois de Pékin, marchant trois par trois : Il faut deux témoins pour surveiller le troisième ! On rencontre des Soviétiques, que l’on nomme encore ainsi ! Ils sont accompagnés de leurs lourdes épouses .


-” Tout pour le Peuple. Rien que pour le Peuple !”
Les enfants des écoles lèvent le poing et crient des slogans.






Je suis affecté à un “Institut de recherche dont les chercheurs ne trouvent jamais que ... des excuses pour justifier leurs absences ! Et encore, ne se donne-t-on même plus la peine de chercher des excuses, depuis longtemps !


Le primat scientifique est partout. Il est dans les rues où passent les chars d’assaut. Il est dans le petit bois qui jouxte la prison : C’est là que l’on coupe les bambous pour assouplir le dos des prisonniers. Il est dans l’habileté des voleurs de vélomoteurs qui n’ont pas leur pareil pour vous démonter un engin et revendre les pièces à l’autre bout de la ville en un temps record. Il est dans la gestion des magasins d’État, toujours vides. C’est l’époque où l’on vend au marché de Poto-Poto les macaronis par petits paquets de quatre unités.


Nos propres diplomates, de leurs bureaux à l’Ambassade, gèrent la situation de façon à peu près aussi scientifique ...


C’est la joie ! Je ne tarderai pas à demander ma mutation. Je suis las de me faire arrêter à chaque carrefour par des miliciens de quatorze ans armés de Kalachnikof. Ils ont, eux-mêmes, tellement peur que leur doigt se crispe sur la détente. Ils tremblent et les larmes coulent sur leurs joues !






J’apprendrai dans ce pays quelques lois vitales. Tout d’abord celles du pragmatisme ... “Scientifique” ?


-” Cent vingt personnes. Pas de bagages : Les cartes d’identité entre les dents, annonce le responsable chinois, prévoyant la possibilité d’une évacuation d’urgence.
-”Bien entendu, vous enlevez tous les sièges pour alléger l’avion. Tout le monde s’assoit par terre !”


J’apprendrai aussi là-bas les lois du silence, auquel peut se substituer, en cas de démangeaisons, la pratique de la langue de bois ! Prudence : Le petit bosquet de bambous rétrécit, mais il en reste encore ...


La loi la plus admirable, c’est pourtant une loi élémentaire de physique. Les femmes congolaises y sont Maîtresses. Je veux parler de la loi de l’équilibre. Le véritable équilibre, au sens propre du mot. Il suffit d’avoir vu passer sur la route les femmes altières, en boubous colorés, marchant à grands pas, droites, portant sur la tête une bassine, un sac, un panier, ou même ... une bouteille !
Essayez donc, vous nous conterez vos succès !


J’ai particulièrement souvenir d’une femme encore jeune, au boubou imprimé de portraits du Président
( excellent sauf-conduit pour la Milice !)






Elle porte un bébé sur le dos, enveloppé dans un tissu de coton noué. Elle va droit devant. Elle jacasse abondamment avec ses compagnes. Elle porte sur la tête, en équilibre, couché à l’horizontale ... un igname d’un mètre cinquante de long ! Ce tubercule noirâtre semble un énorme saucisson, un gros salamis ... de plus de vingt cinq centimètres de diamètre !


-”Vous porteriez cela, vous, sur la tête ?”


Il ne s’agit pas de l’un des prodiges du Socialisme-Scientifique ... Il s’agit d’un savoir ancestral.


Mais pourquoi donc me revient cette image ? Il y aurait beaucoup d’autres choses à raconter, sur le Congo de ce temps-là.


C’est que je ne peux plus voir un tubercule sans être secoué par les frissons du rire ! Que voulez-vous, c’est plus fort que moi.


J’avais pour collègue, dans mon très scientifique Institut de Recherche ( Je n’ai pas dit de Recherches Scientifiques ! ) J’avais pour collègue une Congolaise (C’était bien la seule que je rencontrais de temps en temps dans ces bureaux déserts !) Elle s’appelait Madame Toyo.










Un jour elle vient me voir :


-” Je peux vous parler ?”


Je suis un peu surpris : Je vous l’ai dit, la parole est rare, la confiance aussi.


-”Mais bien sûr, Madame Toyo !”


-” Eh bien voilà ! Je vais marier ma fille le mois prochain.”


-” Tous mes compliments ...”


-” Je suis inquiète. Que pensez-vous qu’il va se produire ? Autrefois, on vous préparait avant le mariage. Mais les jeunes de la nouvelle génération ... “


_” On vous préparait ... ? “


-” Oui, progressivement, avec des tubercules de plus en plus gros. Mais ma fille, on ne l’a jamais préparée ... Comment vont-ils faire ? “


Le voilà, le progrès apporté par la Révolution Populaire ! Voilà ce que l’on gagne à des années de Socialisme-Scientifique !








_” Ne vous inquiétez pas, Madame Toyo ... Faites confiance à la nature ... Les jeunes mariés se débrouilleront bien ...
S’ils ne l’ont pas déjà fait !

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